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Le Projet

Développement de notre projet: 
 
 Afin de compléter notre vidéo YouTube sur « l’exposition surréaliste d’objets », nous vous proposons cette introduction plus détaillée sur cet événement qui fut présenté à la galerie Charles Ratton du 22 mai au 29 mai 1936.

 

 

L’EXPOSITION SURREALISTE D’OBJETS

 

Du 22 mai au 29 mai 1936 à la galerie Charles Ratton

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 1: Affiche de l'exposition surréaliste d'objets, 1936, sur papier.

 

 

    Pour rappel, le surréalisme est selon André Breton, un « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. ». 

   Tout commence en 1922 lorsqu’André Breton rompt avec Dada via des textes dans la revue Littérature où il le critique. Le mouvement prend un nom officiel avec Le Manifeste du Surréalisme publié en 1924. Breton ouvre un bureau de recherches surréalistes la même année afin de travailler sur tous les médiums possibles pour laisser exprimer l’inconscient. Le 13 novembre 1925 est inaugurée la première exposition surréaliste où des artistes comme Hans Arp, Max Ernst, Man Ray, Paul Klee ou même Picasso exposent. La galerie Surréaliste ouvre ses portes quelques temps plus tard, avec l’exposition « Tableaux de Man Ray et objets des îles ». La presse y sera choquée par la statue océanienne perçue comme indécente figurant en couverture du catalogue. Le Second manifeste surréaliste est rédigé en 1929 après une brouille entre Breton et Bataille. Ce-dernier juge en effet André Breton beaucoup trop moralisateur. En 1930 est publié pour la première fois le journal la Révolution surréaliste qui fait écho aux tendances marxistes surréalistes. La première exposition de ce mouvement aux Etats-Unis aura lieu un an plus tard. En 1933, Albert Skira publie la revue Minotaure éditée jusqu’en 1939, comportant des thèses, des poèmes des surréalistes.

    En 1936, l’exposition surréaliste d’objets est montée ; elle réunit toutes sortes d’objets que nous allons étudier, de l’objet naturel à l’objet trouvé passant par l’objet américain ou océanien. Cette exposition donne lieu à la naissance d’un catalogue dont la préface sera écrite par André Breton. De nombreux artistes exposent leurs œuvres dont certaines créées spécifiquement pour ce projet. Sont exposés Arp, Breton, Cahun, Dominguez, Giacometti, Miro, Magritte ou encore Man Ray. En tout, près de 200 objets sont présentés.

Charles Ratton, chez qui se tient l’exposition, est un collectionneur, marchand d’art et galeristes né en 1895 et mort en 1986. Il est passionné par les arts primitifs de tous les continents, aussi bien Africain, qu’Océanien ou Américain. Après des études à l’Ecole du Louvre sur les objets médiévaux, il obtient en 1927 l’autorisation d’exercer la profession de brocanteur à demeure. C’est dans les années 1920 qu’il rencontre les surréalistes et tisse des liens d’amitiés et pécuniers avec eux. Il organisera de nombreuses expositions dont, en 1930, une exposition d’art africain et océanien aidé par Tzara ou, cinq ans plus tard, « African Negro Art au Moma » à new York.

Dans quelle mesure l’exposition surréaliste d’objet montre-t-elle le désir de nouveauté à travers les arts primitifs et la scénographie chez les surréalistes ? Pour y répondre, nous étudierons dans un premier temps de quelle manière cette exposition met en avant des objets non-occidentaux, puis nous verrons que cet événement sonne comme un manifeste de l’approche surréaliste. Finalement, nous nous pencherons plus particulièrement sur l’utilisation récurrente de l’objet non-occidental chez les surréalistes 

 

     Une mise en avant inédite des objets non-occidentaux

Ratton : Des goûts marquant le surréalisme et l’exposition de 1936

L’exposition propose de nombreux objets américains et océaniens comme nous allons le voir dans le catalogue. Nous trouvons aussi bien des masques que des poupées et même un sommet de case. Nous pouvons remarquer l’absence total d’objets africains. Cette évolution peut s’expliquer notamment par l’influence de Charles Ratton sur les surréalistes.

Les liens avec les surréalistes étaient amicaux comme le montre l’exemplaire Comme deux gouttes d’eau signé par Paul Eluard en 1933 « Exemple de mon Charles Ratton, maniaque de la beauté à Ratton ». Nous avons aussi des liens pécuniers puisque Charles Ratton soutient les surréalistes en exposant leurs œuvres, en leur achetant des objets comme le prouve cette phrase de Paul Eluard : « vendu l’ivoire esquimau à Ratton : 6000. Pas mal, hein ? ». Ratton avait donc une certaine proximité avec les surréalistes rendant possible l’hypothèse qu’il ait marqué de son empreinte les goûts de ce mouvement.

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2:Charles Ratton. Croquis de carton d’invitation pour l’Exposition de masques et  d’ivoires anciens de l’Alaska et de la côte nord-ouest de l’Amérique, 1935. © 2008 Galerie Charles Ratton, Paris.

 

 

 

    Charles Ratton s’est très vite intéressé à l’art primitif, tout comme les surréalistes. Il a commencé par investir dans l’art nègre suivant la mode durant l’entre-deux-guerres. C’est ensuite qu’il s’intéresse aux objets américains. Nous constatons cela avec l’exposition de 1935 « Masques et ivoires anciens de l’Alaska et de la Côte Nord-Ouest de l’Amérique » (voir figure 2). Cette exposition est assez inédite en France à l’époque et a sûrement marqué les surréalistes, rare public à s’être déplacé en masse pour la voir. Charles Ratton, qui était donc parti en Amérique, en avait ramené des objets encore jamais vu à Paris achetées à New York, à George Heye, fondateur du Museum of the American Indian. Toutefois, il me faut nuancer le côté inédit de la mise en avant de la culture américaine en France puisque en 1924 sort le film Nanouk, l’homme des temps primitifs de Robert J. Flaherty qui eut beaucoup de succès (6 mois à l’affiche à Berlin) et racontait le dur quotidien d’une famille esquimau.

Les surréalistes vont progressivement s’orienter vers l’art américain et océanien et se désengager de l’art nègre. Ainsi, la collection de Paul Eluard évolue. Elle compte en 1924 pratiquement que des œuvres dites « nègres » puis en 1931 30 pièces africaines, 124 américaines dont 45 en provenance du Nord.  Ce choix va se faire ressentir dans cette exposition surréaliste. En effet, le catalogue d’exposition présente treize références d’objets américains. Ces objets proviennent surtout des Inuits, des Hopis. La tendance générale du marché allait alors plutôt vers les objets des grandes civilisations comme les Mayas. Les surréalistes s’en démarquent, tout comme Charles Ratton. Remarquons également dans ce catalogue d’exposition que des objets proviennent de la collection des artistes surréalistes tel le masque esquimau possédé par André Breton. Ce type d’objets occupaient une grande place dans sa collection, bien qu’il en ait vendu une grande partie après des soucis financiers durant une vente dirigée par Ratton (voir figure 3). Pour preuve encore de l’intérêt de l’art américain pour cette exposition, l’affiche arborant une photo d’une poupée kachina des tribus hopis (voir figure 1). 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 3: Sculptures d'Afrique, d'Amérique, d’Océanie : collection André Breton et Paul Eluard, Paris, Editions Ratton, Editions Carré, Editions Keller, 1931.

 

Une contre exposition coloniale ? 

 

    L’exposition de 1936 se tient cinq ans après l’exposition coloniale de Vincennes. D’après l’orientation politique des surréalistes, plutôt marxistes comme André Breton, il est envisageable qu’ils aient aussi tenu cet événement comme contrepied de l’exposition de 1931, ce qui serait alors très novateur.

    Pour mémoire, l’exposition coloniale de 1931 dont le slogan était « Le tour du monde en un jour ! » avait un but politique, celui de renforcer l’identité nationale et de glorifier la colonisation. Un parc zoologique est construit pour l’occasion afin d’y placer la faune et la flore exotique mais aussi des zoos humains. Le succès fut immédiat avec 33 millions de tickets d’entrés, le public se précipitant voir les spectacles montés de toutes pièces disponibles, les attractions reprenant les modes de vies non-occidentaux. Via les mises en scènes choisies, l’exposition apparait plus comme un loisir qu’un outil de propagande. Les avis sont plutôt positifs pour la majorité exceptée chez les marxistes mais aussi les surréalistes. Ceux-ci ouvrent une contre exposition en réponse. Le 19 septembre 1931 elle ouvre. Plusieurs tracts sont rédigés par Breton, comme Ne visitez pas l’exposition coloniale et ensuite Premier bilan de l’exposition coloniale. Breton évoque la destruction des cultures qu’entraînerait la colonisation et une opposition entre le communisme et l’impérialisme colonisateur. La contre exposition n’eut pas beaucoup de succès, mais demeure une expérience assez inédite, au regard de la faible partie de la population opposée au colonialisme.

    Le caractère de la contre exposition coloniale peut aussi ressortir de l’exposition de 1936. Nous pouvons affirmer cela par le statut des objets non-occidentaux égaux à ceux occidentaux. Ils sont en effet installés de la même manière que les objets surréalistes dans la scénographie, et leur mention tout aussi précise que les œuvres occidentales dans le catalogue d’exposition (voir figure 4). Ces œuvres sont mêmes présentées avant les objets surréalistes, leur cartel est aussi précis que ceux des autres œuvres. Les provenances sont marquées quand il l’est possible tel que « Poteries Zapotèque » du « Mexique ». Chaque objet reste également individualisé, comme une œuvre à part entière, comme le montre la répétition de cinq fois marqués « masque esquimaux ».

    Néanmoins, il me faut remarquer un comportement assez ambigu de la part des surréalistes dans cette exposition. En premier lieu, il faut savoir que Ratton avait déjà prêté des objets pour l’exposition coloniale de Vincennes de 1931 et qu’il ne participa pas à la contre exposition coloniale. Sophie Leclercq explique par ailleurs que « les surréalistes n’hésitent pas, par l’’intermédiaire de Ratton, à emprunter 2 sculptures des Nouvelles Hébrides au musée des Colonies pour leur exposition de 1936 par l’intermédiaire du Ministre de la France d’Outre-Mer. ». Bien qu’ils se situent contre le colonialisme, les surréalistes n’hésitent pas à utiliser des moyens associés à la colonisation sans se soucier des manières dont les objets sont arrivés en France (pillage, vol) afin de compléter leur exposition.

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Figure 4: André BRETON, Exposition surréaliste d'objets. Paris, Charles Ratton, 1936, p5. 

 

 

 

 

Une exposition manifeste de l’approche « surréaliste » : bousculer le quotidien

Présenter des objets à travers une scénographie anarchique

 

 

 

 

 

 

Figure 3:Man Ray, Sans titre, Exposition surréaliste d'objets galerie Charles Ratton en 1936, 1937

     

 

    Comme nous pouvons le voir sur cette photographie de l’époque (voir figure 5), les œuvres sont absolument mélangées, balayant d’un revers de main les traditions scénographiques. Si nous remontons un peu dans le temps, tout d’abord au XVIIIème siècle, le Salon (un événement majeur de la scène artistique de l’époque rassemblant des milliers de pièces) regroupait les œuvres d’art par médiums. Ensuite, à partir de 1874, la première exposition impressionniste préféra des ensembles monographiques. Nous pouvons toutefois faire des parallèles avec la première foire Dada de 1920, qui mélangeait à la fois médium et artistes. Pour en revenir à la disposition des objets non-occidentaux, ils étaient jusqu’à lors représentés entre eux, dans des sections particulières voire dans des musées particuliers comme les musées ethnographiques ou le musée du Trocadéro. Puisque les œuvres non-occidentales étaient pour la majorité des européens inférieures aux œuvres occidentales, il était jugé scandaleux de les mixer, au risque de rabaisser en quelques sortes les œuvres occidentales. Ratton, lorsqu’il exposait lui-même des œuvres primitives, les organisait en fonction de leur situation géographique, historique ou ethnographique. Ainsi, nous pouvons en déduire que ce sont bien les surréalistes qui ont choisi cette nouvelle approche. Ici, les objets sont mélangés, les médiums aussi, rappelant la théorie des surréalistes voulant qu’il faille créer des combinaisons encore jamais exploité pour créer quelque chose d’inédit. L’exposition a pour but de créer une rupture, une surprise avec ce que le public avait déjà vu. 

    Les œuvres sont présentées de manière complètement anarchique, comme s’il s’agissait simplement des objets banals. Prenons par exemple cette photographie. Nous voyons une étagère, donc un support souvent utilisé chez soit pour exposer les objets d’une collection ou du quotidien. Les objets qui y sont posés sont extrêmement rapprochés les uns des autres pour faciliter leur comparaison, ainsi que nous le verrons plus tard. Nous voyons que le porte-bouteille de Marcel Duchamp est présenté à côté de divers objets hétéroclites tels que des objets primitifs, comme un masque difficilement identifiable sur la photo. Les œuvres sont en majorité entassées sur ces étagères, seules les plus grandes et les plus imposantes sont maintenues sur un socle ou accrochées au mur. En plus de vouloir une scénographie assez inédite, il est probable que cette proximité entre les œuvres soit due à un manque de place puisqu’il y avait, comme je l’ai précédemment dit, deux cents œuvres à présenter dans un espace restreint. 

    La scénographie étonnante est donc complètement différente du catalogue d’exposition puisque celui-ci est bel et bien rangé sous forme de classement. Nous avons en effet objets naturels, objets interprétés, objets perturbés, objets trouvés, objets trouvés interprétés, objets américains, objets océaniens, objets mathématiques, ready-made et ready-made aide pour finir par objets surréalistes. Dans objets surréalistes, André Breton va jusqu’à classer les œuvres selon l’ordre alphabétique du nom des artistes. Mais, selon Sophie Leclercq, il ne faudrait pas voir cela comme une mise en scène ou plutôt une mise en page traditionnel puisque « Ces classements selon leur propre catégorie est aussi un moyen de détourner et de parodier les classifications scientifiques ». En effet, j’ai trouvé une citation de Breton affirmant à propos de l’œil « Il est fait pour jeter un linéament, pour faire passer un fil conducteur entre les choses d'aspect le plus hétérogène. (..) Ces rapports n'ont cessé d'être brouillés par les fausses lois de (…) la classification scientifique ... La clé de la prison mentale ne peut être trouvée qu'en rupture avec ces façons dérisoires de connaître : elle réside dans le jeu libre et illimité des analogies »

 

La scénographie au service de la comparaison

    Dans cette dernière citation, Breton fait l’éloge de l’analogie, de la comparaison. Cette exposition fait passer la thèse de Breton de l’abstrait au concret, de la théorie à l’expérience. Breton semblait avoir réellement besoin de cette exposition comme le montre un échange épistolaire entre Ratton et lui-même. L’artiste écrit ceci en 1935, après avoir regretté l’achat d’un masque au galeriste « peut-être certains objets que vous aviez assemblés ont-ils déteint affectivement sur les autres » et rajoute peu après « il faudra que j’essaie un jour de tirer cette question au clair : de ce qui est surréalistes dans l’art primitif et de ce qui ne l’est pas ». Ainsi, la manière de mettre en scène un objet semble tout aussi importante, si ce n’est plus que l’objet en lui-même. La comparaison permettrait de mettre en valeur les points communs entre des pièces.

    Ainsi, nous trouvons un point commun autour de tous ces objets : Ils sont uniques. Je vais prendre plusieurs exemples pour vous le montrer. Tout d’abord, les objets non-occidentaux sont, comme je l’ai déjà dit, inédits en France, on ne les y avait jamais exposés au grand public. Chaque masque est différent expliquant leur individualisation dans le catalogue d’exposition, les ready-made sont quant à eux différents par leur manière d’être des objets détournés en œuvre d’art parce que l’artiste Marcel Duchamp le veut. Les autres objets surréalistes le sont par la combinaison qu’ils offrent de tout un tas de médiums. Prenons l’œuvre de Hans Bellmer nommée Jointure de Boule (voir figure 6). Nous trouvons sur cet assemblage l’utilisation d’un filet, de deux bras de poupées assemblés sur un support vertical avec un cadre en bois. Nous avons également le Veston Aphrodisiaque de Dali (voir figure 7), qu’il a d’ailleurs lui-même porté, comprenant une veste noire cousue de verres à liqueur contenant du Pippermint et une paille avec une chemise. Cet objet joue par ces associations sur l’inconscient, l’irrationnel et devient complètement inutile, illustrant la phrase de Dalí « L'objet surréaliste devait être absolument inutile tant au point de vue pratique que rationnel. Il matérialiserait, avec le maximum de tangibilité, les fantaisies spirituelles de caractère délirant. »

 

                       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 4: Hans Bellmer, Jointure de boule, 1936   

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 5: Salvador Dali, Manteau Aphrodisiaque, 1936, œuvre détruite

    Cette citation nous emmène vers un autre point commun entre tous ces objets, c’est qu’ils sont inutilisables. Les masques inuits tout comme la veste de Dali étaient auparavant des objets utiles, et ils ont été détournés lors de cette exposition. Le sommet de case de Nouvelles-Hébrides est par son détournement géographique, sa décontextualisation totale, sa présentation dans l’exposition, sans fonction matérielle. Ils ne peuvent que conférer des émotions particulières aux visiteurs. Cela contraste fortement avec l’industrialisation et la consommation de masse qui arrivaient à cette époque qui menaient à la standardisation des objets, et même à une sorte de passivité derrière les habitudes. Nous pouvons lire « Il importe, à tout prix, de fortifier les moyens de défense qui peuvent être opposés à l'envahissement du monde sensible par les choses dont, plutôt par habitude que par nécessité, se servent les hommes. ». Cette tendance du mouvement peut faire écho aux sensibilités politiques de plusieurs artistes comme Breton, marxistes. Celui-ci semble littéralement mené un combat d’après cette citation comme le montre le champ lexical de la guerre « défense », « envahissement ».

 

 

L’utilisation récurrente de l’objet non-occidental chez les surréalistes

L’art primitif comme un objet trouvé empreint de mystère 

 

Figure 6: Man Ray, Sans titre, Exposition surréaliste d'objets galerie Charles Ratton en 1936, 1937

    Les surréalistes ont trouvé dans l’art primitif les qualités de l’objet qu’ils cherchent. Tout part du procédé d’acquisition des objets. Du fait de leur pauvreté, les surréalistes allaient souvent chercher de nouvelles trouvailles dans des brocantes, chez des antiquaires, tel une véritable chasse au trésor en quelques sortes. Dans l’Equation de l’objet trouvé, André Breton compare même les surréalistes à des explorateurs. « A la pointe de la découverte, de l'instant où pour les premiers navigateurs une nouvelle terre fut en vue à celui où ils mirent le pied sur la côte, (…), un très fin pinceau de feu dégage ou parfait comme rien autre le sens de la vie. C'est à la recréation de cet état particulier de l'esprit que le surréalisme a toujours aspiré ». Ainsi, bien que les objets primitifs soient distingués des objets trouvés dans le catalogue d’exposition, l’effet recherché semble le même, celui d’une vive et longue émotion produite par la nouveauté. L’aura mystérieuse des objets américains et océaniens devient un des enjeux de l’exposition. Le hasard par lequel les surréalistes se sont procuré certains objets semblent également les fasciner. 

    Les surréalistes étaient également très intéressés par le rêve, la magie, et c’est peut-être ce qu’ils cherchaient également dans les objets primitifs. En effet, la magie était un symbole de ces sociétés, magie qui avait disparu dans le monde occidental, notamment à cause de la révolution industrielle et des progrès scientifiques. Nous pouvons prendre comme exemple les poupées Hopi appelées kachina présentées à l’exposition. Ces kachinas (voir figure 9) représentaient des esprits chez ces indiens. Lors de rituels ayant lieux six mois par an, les esprits s’incarnaient dans des danseurs portant des masques et des costumes. Ces rituels pourraient être associés à une sorte de magie, et incarner une puissance au-delà du monde matériel, une puissance spirituelle et un pouvoir psychique impactant les émotions des humains. Les surréalistes tentent de retrouver ce monde perdu, et de nouvelles solutions pour renouveler l’art. Ils collectionnaient et étudiaient les objets d’autres continents pour parvenir à en créer d’autres de la même qualité émotionnelle ayant la capacité d’évoquer diverses images mentales aux spectateurs qui les observent. 

 

                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 7: Poupée Kachina provenant de la collection André Breton

 

 

 

Une appropriation de l’objet ?

    Finalement, nous pouvons nous poser la question suivante : y-a-t-il eu une appropriation culturelle volontaire ou non des objets primitifs par les surréalistes ? Sophie Leclercq dans La Rançon du colonialisme, Les surréalistes face aux mythes de la France coloniale s’interroge.

   L’appropriation culturelle est l’emprunt des codes d’une culture dite minoritaire par une culture dominante sans demander l’autorisation aux personnes concernées. Or, nous pouvons constater que les surréalistes, du fait du contexte de la colonisation et de l’époque en général, ne l’ont pas fait.

    L’exposition de 1936 n’est pas la première où les surréalistes mêlent leurs propres œuvres à celles non-occidentales. La première exposition de la galerie Surréaliste en 1936 mélangeait œuvres de Man Ray et objets océaniens par exemple. De par la scénographie que nous avons analysée, il ressort que les objets non-occidentaux sont hautement associés aux objets surréalistes. Il était même question d’appeler au départ l’événement « Exposition d’objets surréalistes », montrant ainsi le lien très fort entre les deux catégories d’œuvres. Si le titre a changé, c’est peut-être justement pour dissocier tous les types d’objets présentés, et inviter de ce fait le visiteur à s’interroger sur les liens entre eux.

 

    Toutefois, en perpétuant cette association art primitif/art surréaliste, notamment dans les expositions futures comme à la « London International Surrealist Exhibition », les surréalistes associent complètement ces objets de manière officielle voire se les approprient. Ils paraissent s’identifier à ces arts comme l’affirme Sophie Leclercq, ils font en sorte d’ « associer leur propre image dans une démarche d’identification réciproque ». Il est à noter que ces objets n’avaient jamais été divulgués au public précédemment, et que, lors de cette première présentation, ils furent directement associés au surréalisme et non à leur culture d’origine. Il en résulte que leur identité originale a été altérer puisque leurs origines et leurs contextes ont été volontairement ou non dissimulés.

 

 

    L’exposition surréaliste d’objets montre une réelle envie de nouveauté chez les surréalistes. En exposant au premier abord les objets non-occidentaux de façon identique aux objets surréalistes via une scénographie anarchique, ils se positionnent contre l’exposition coloniale de 1931. En effet, ces premiers objets ne sont plus seulement source de loisirs, d’attraction voir de moqueries, mais plutôt des canalisateurs d’émotion, de magie et de mystère auxquels Breton et d’autres artistes semblent envier cette aura. Les objets présentés à la fois inutiles matériellement et uniques, telles des barrières contre l’industrialisation du monde occidental opposée aux valeurs marxistes de certains exposants. La galerie Ratton tient un véritable manifeste de l’exposition surréaliste qui rêve de bousculer le quotidien et les codes traditionnels pour trouver un nouveau monde idéal pour l’art et la société.

  

 

   L’exposition n’eut pas le succès escompté. La presse écrivit très peu de critiques, et seules168 signatures furent inscrites sur le livre d’or durant les 8 jours de l’exposition. Le succès semble toujours au rendez-vous puisque l’exposition Le surréalisme et l’objet s’étant déroulée au centre Pompidou en 2013 accueillit 276 000 visiteurs.

    

    Les surréalistes reprirent ce concept d’exposition pour la « London International Surrealist Exhibition » (voir figure 10), mais cette fois ci avec la présentation de 400 objets. Elle se déroula la même année, en 1936, au New Burlington Galleries et mit en scène vingt-trois artistes anglais, indiquant déjà le succès du surréalisme dans ce pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 8:Diana Brinton-Lee, Salvador Dalí (in diving suit), Rupert Lee, Paul Éluard, Musch Éluard, ELT Mesens at the International Surrealist Exhibition in London, 1936, © Tate Archive.

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Solenn Garzon. 

 

 

Sources Primaires :

  • Sculptures d'Afrique, d'Amérique, d'Océanie : collection André Breton et Paul Eluard, Paris, Editions Ratton, Editions Carré, Editions Keller, 1931

  • André BRETON, Exposition surréaliste d'objets. Paris, Charles Ratton, 1936

 

  • André BRETON, « L’Equation de l’objet trouvé » Damne 34, n° 1, juin 1934, p. 17-24

 

Sources Secondaires

  • Emmanuel GUIGON, Le surréalisme et l'objet. Paris, Centre Pompidou, 2013

  • Sophie LECLERCQQ, La rançon du colonialisme. Dijon, Presses du Réel, 2010

  • William RUBIN, Le Primitivisme dans l'art du 20e siècle. Paris, Skira Flammarion, 1991

  • Sophie LAPORTE, Charles Ratton, L’invention des arts primitifs, Paris, Flammarion, 2013

 

Webographie :

  • Florence DUCHEMIN-PELLETIER, « Surréalisme et art inuit : la fascination du Grand Nord », Journal of Surrealism and the Americas, 2008, [en ligne], consulté le 22 novembre 2017
    URL : https://jsa.hida.asu.edu/index.php/jsa/article/download/38/31

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